Les marchés – Juillet 2014

Toute une hausse du prix du bœuf en 2014!

Depuis le début de 2014, la hausse du prix du bœuf a régulièrement fait les manchettes. Le présent numéro présente l’évolution du prix du bœuf au détail et du prix payé aux producteurs depuis 1999. Nous ferons également un rappel des événements qui ont conduit à cette remontée des prix et nous nous interrogerons sur les perspectives d’avenir.


 

1.    Évolution du prix du bœuf

De 1999 à aujourd’hui, le prix moyen du bœuf au détail (moyenne de 6 coupes compilées par Statistique Canada) est passé de 3,82 $/lb à 6,69 $/lb, soit une hausse de 75 %, ou 6 % en moyenne par année.  Cette hausse n’a toutefois pas été constante au cours de cette période. Elle a été particulièrement importante de 1999 à 2001 et de 2011 à aujourd’hui.

Pendant cette même période, le prix payé aux producteurs de bouvillons d’abattage est passé de 1,49 $/ lb carcasse à 2,36 $/ lb carcasse, soit une hausse de 58 % ou 5 % en moyenne par année. Cependant, pour les producteurs, la véritable hausse ne s’est matérialisée que depuis 2011. Et elle s’est même accentuée en 2014, pour atteindre des prix jamais observés dans l’histoire de la production bovine nord-américaine.

Par ailleurs, il est intéressant de comparer l’évolution relative du prix du bœuf payé aux producteurs par rapport à celui payé par les consommateurs. Ainsi, au tournant des années 2000, le ratio « prix payé aux producteurs sur le prix au détail » variait autour de 39 %. Toutefois, la part du producteur est tombée sous le seuil des 30 % à compter de 2003, pour atteindre 24 % en 2009. La crise de la vache folle (amorcée le 20 mai 2003) a donc entraîné une baisse prononcée et prolongée du prix payé aux producteurs alors que le prix payé par le consommateur est resté stable, voire en légère hausse. Mais depuis 2011, le ratio frôle les 30 %. Et depuis 2014, avec la hausse marquée du prix aux producteurs, le ratio a franchi de nouveau la barre des 35 %! Mais il serait surprenant que nous revenions au niveau des années 2000, car une hausse subite et prolongée du prix au détail risque malheureusement d’entraîner le décrochage de nombreux consommateurs.  

Évolution des prix

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2.    Rappel des événements

1) Sécheresses, éthanol et exportations de maïs augmentent les coûts de production

Au cours de la dernière décennie, les producteurs de bovins nord-américains ont subi des conditions économiques et financières très difficiles.  Par exemple, nos voisins du Sud, dont la taille du cheptel vache-veau est de 7,5 fois celle du Canada, ont été aux prises avec des sécheresses très importantes qui ont affecté les pâturages, forçant ainsi les producteurs vache-veau à liquider une partie importante de leur cheptel.

D’autre part, les épisodes de sécheresses combinées à la hausse des exportations de maïs vers la Chine notamment, et la politique américaine de développement de la production d’éthanol ont exercé une pression énorme sur le prix des grains. Ainsi, le marché du maïs-grain, qui oscillait historiquement sous la barre des 200 $/TM, s’est enflammé pour atteindre, voire dépasser les 300 $/TM en 2008, 2011 et 2012, accroissant en conséquence, et de façon importante, les coûts d’alimentation des bouvillons.

Malheureusement, avec la crise de l’ESB et le marasme économique mondial qui a suivi la crise financière de 2008, les prix payés aux producteurs de bovins n’ont tout simplement pas suivi la hausse des coûts de production. Les producteurs ont décroché et la production bovine (bouvillons et vache-veau mais aussi veaux de grain et veaux de lait) s’est mise à chuter. 


Évolution du prix payé aux producteurs de bouvillons vs le prix du maïs-grain 

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2) La baisse du cheptel vache-veau en Amérique du Nord 

Depuis le milieu des années 2000, on observe une chute importante du cheptel vache-veau partout en Amérique du Nord. Il y a aujourd’hui au Canada et aux États-Unis, 13 % moins de vaches de boucherie sur les fermes qu’en 2004, une perte de 5 millions de vaches.

Évolution du nombre de vaches de boucherie 
en Amérique du Nord, 2004 VS 2013

 

2004

2013

écart

%

Canada

5,0 M

3,9 M

-1,1

-22 %

États-Unis

32,9 M

29,0 M

-3,9

-12 %

Total

37,9 M

32,9 M 

-5,0

-13 %

Soulignons ici l’importante baisse de 22 % du cheptel vache-veau au Canada. Et là encore, on pourrait constater que ce ne fut pas uniforme coast to coast, puisque l’Est canadien a affiché pendant cette période une baisse atteignant les 29 %…

3) Décalage : variation du cheptel vache-veau et ajustement des prix de marché 

Les pertes financières des producteurs vache-veau et de bouvillons d’abattage au cours de la dernière décennie ont finalement entraîné un recul important de la production de viande de bœuf. Toutefois, cela ne s’est pas fait du jour au lendemain.

Paradoxalement, dans un premier temps, lorsque les producteurs vache-veau liquident leur cheptel, davantage de vaches sont réformées et moins de génisses de reproduction sont gardées, ce qui contribue à produire plus de viande de bœuf! Il peut donc s’écouler plusieurs années avant que la réduction du cheptel vache-veau se traduise concrètement en une baisse de la production de viande de bœuf pour les consommateurs. Et ce n’est que lorsque l’offre de bœuf baisse sensiblement que les prix à la ferme subissent une pression à la hausse, d’où le décalage de quelques années entre la baisse du cheptel vache-veau et la hausse des prix de marché. Et, là encore, faut-il qu’aucun autre facteur ne vienne perturber la demande au cours de cette même période.

D’autre part, lorsque les prix atteignent finalement des niveaux qui permettent de rentabiliser leur ferme, les producteurs vache-veau décident alors de grossir leur cheptel. Pour ce faire, ils réforment moins de vaches et gardent davantage de veaux femelles pour le remplacement. Cela a pour effet de faire décliner encore davantage l’offre de viande (généralement pendant 2 à 3 ans compte tenu du cycle biologique particulièrement long des bovins), accentuant encore davantage la pression à la hausse sur les prix. En production bovine, il s’écoule donc plusieurs années avant que les efforts de reconstruction du cheptel vache-veau se traduisent par une offre accrue de viande sur le marché et que les prix se réajustent en conséquence.

4) Le cheptel bovin est-il en expansion?

Depuis la fin de l’année 2013, la production de viande de bœuf a connu un net recul (5 % moins de viande de bœuf en début d’année 2014) et les prix se sont considérablement redressés. 

On note également une baisse du nombre de vaches réformées, de 12 %, ainsi qu’un recul du nombre de veaux d’embouche femelles vendues dans les encans, ce qui laisse supposer que les producteurs vache-veau sont en train de rebâtir leur cheptel ou, du moins, le stabiliser.


Évolution du nombre de vaches de boucherie aux États-Unis (millions de têtes) 

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Les analystes sont toutefois prudents dans leurs prévisions de croissance.  En outre, certaines terres, jadis destinées à l’élevage vache-veau, sont aujourd’hui converties à la production céréalière. Il est fort peu probable que ces terres retrouvent leur vocation originale. Par ailleurs, les producteurs vache-veau avancent en âge et la relève agricole demeure hésitante à s’engager en production bovine.  Et personne ne sait ce que nous réserve Dame nature. Si la sécheresse perdure dans certaines zones traditionnellement destinées à la production vache-veau, la croissance du cheptel n’y sera plus possible!


 

3.    Perspectives d’avenir

1) La consommation

Compte tenu du cycle de production des bovins (beaucoup plus long que pour le porc ou la volaille), il faut compter environ 2 à 3 ans après le début de reconstruction du cheptel vache-veau avant d’observer une hausse notoire de la production de viande de bœuf. On peut alors s’attendre à ce que les prix restent relativement élevés (hormis les variations saisonnières) pour quelques années encore. 

Cependant, les analystes se questionnent sur l’impact à long terme de la hausse subite et substantielle des prix sur la consommation de viande de bœuf.  D’ailleurs, par exemple, la consommation de poulet à surpassé la consommation de bœuf aux États-Unis pour la première fois en 2013.  Si certains consommateurs sont disposés à débourser un peu plus pour le boeuf, d’autres risquent de se tourner vers des solutions plus « économiques », comme le poulet (sachant que le porc connaît lui aussi une remontée des prix notamment à cause de la baisse de production découlant de diarrhée épidémique porcine (DEP) qui affecte particulièrement nos voisins américains).

Évolution de la consommation de viandes per capita aux États-Unis

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Pour le moment, la demande des consommateurs semble relativement ferme même si, depuis quelques mois, les coupes de bœuf sont moins en promotion dans les circulaires. Il y a aussi les restaurateurs qui déplorent fortement la remontée du prix du bœuf. Mais là encore, le bœuf demeure toujours le premier choix au menu des restaurants, selon une récente étude américaine. Les habitudes alimentaires, ça ne se change pas du jour au lendemain.

En outre, la demande des pays émergents pour les protéines animales demeure toujours en forte augmentation. On sait que la Chine deviendra bientôt la plus grande puissance économique mondiale, devançant même les États-Unis. On sait également qu’il y a une relation directe entre la hausse du pouvoir d’achat des consommateurs et la consommation de viande bovine. La croissance des exportations exerce donc elle aussi une pression à la hausse sur le prix du bœuf.

2) Le bœuf haché vole la vedette!

Parmi toutes les coupes de viande qui découlent d’une carcasse de bœuf, le bœuf haché figure parmi le plus demandé. Aujourd’hui, le bœuf haché compte pour plus de 50 % du bœuf consommé en Amérique du Nord. Il est populaire parce qu’il est facile à préparer, il fournit une qualité constante et il demeure (encore) l’une des coupes de bœuf la moins chère en épicerie.

Mais l’offre de bœuf haché peine à suffire à la demande. En conséquence, le prix du bœuf haché en épicerie connaît actuellement une hausse plus importante que toutes les autres coupes de bœuf. Par exemple, de 2008 à 2014, le prix du bœuf haché a connu une hausse de 60 %, alors que le prix des steaks et des rôtis n’a connu qu’une hausse d’environ 20 à 30 % pour la même période.

Évolution du prix de diverses coupes de bœuf ($/ lb)
Variation 2014 vs 2008

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Le prix de gros du bœuf désossé (destiné au bœuf haché) connaît actuellement des niveaux record. Rappelons que les abattages de vaches de réforme en Amérique du Nord sont en baisse de 12 % par rapport à 2013 et que la relation entre le prix des vaches de réforme et le prix du bœuf désossé 85 % est directe. Ceci explique cela! Ce qui est moins connu, c’est que le prix du bœuf désossé contribue également (et de plus en plus) à soutenir le prix des bouvillons dont 17 à 27 % de la carcasse est maintenant transformée en bœuf haché.

Alors que traditionnellement, l’industrie comptait sur la plus-value des « pièces nobles », telles la longe et la côte de bœuf, pour soutenir le prix de la carcasse de bœuf, aujourd’hui, le bœuf haché contribue fortement, lui aussi, à supporter le prix élevé de toutes les catégories de bovins (veau d’embouche, bouvillon, réforme).

 

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